Le patois genevois fout le camp
À LA UNE - Rédigé par Jérôme Fontanet
- Nos écoliers ne connaissent plus les mots du terroir.
- Les ados rejettent aussi les expressions de leurs aînés.
- C’est pourtant un régal d’écouter les derniers titis genevois s’égosiller en patois du côté des Vernets.
«Enfilez vos cuissettes, les enfants, on va faire un jeu bonnard.» Marc aurait mieux fait de tourner sa langue trois fois dans sa bouche avant de parler de son animation. Car, ce jour-là, ses bisules n’y pigèrent que dalle!
«C’était assez déstabilisant. J’avais devant moi une trentaine de petits Genevois, qui me regardait avec des yeux hagards, comme si je venais de leur causer en chinois», témoigne cet animateur, qui a dû reformuler sa phrase pour se faire comprendre. «J’ai employé l’anglicisme short et évoqué un jeu trop stylé, là ils ont saisi. Mais j’avais pris un sacré coup de vieux… »
Une mégotte, c’est quoi?
Nos griots ne connaîtraient-ils donc plus les expressions locales? Pour en avoir le cœur net, notre quadragénaire s’est livré à une petite expérience, en griffonnant une vingtaine de locutions romandes au tableau noir, dont ses cocolets devaient deviner le sens. Un jeu d’enfants, a priori, car il n’y avait que de grands classiques: panosse, mégotte, clopet, chenit, minons, gouille, fricasse, vigousse, avoir son fond, barjaquer, déguiller. Résultat du sondage? Consternant!
«Ces écoliers de 9 à 12 ans n’en connaissaient quasiment aucun. A l’exception du mot moque, du verbe s’encoubler et de la lavette, qu’un garçon utilisait encore pour se débarbouiller la frimousse, tous les autres usant du gant de toilette, cher aux Français.» Quant à nos yoghourts, présents dans la liste, la moitié n’en avait jamais mangé, préférant les yaourts, plus moelleux!
De bleu la catolle !
Dans une ville internationale comme Genève, ce constat n’a finalement rien d’étonnant. Même si certains vocables du terroir ressurgissent parfois dans les cours de récré, inopinément. Comme la formule catoller qu’emploient nos petits galapiats lorsqu’ils jouent au foot. Leurs pères, eux, disaient catolle. «T’as vu la catolle qu’il a mis. Le coiu a transpercé les filets!» Une expression, visiblement, indémodable. Au grand dam des défenseurs du Larousse. Mais trêve de blabla, car il commence à roiller. Alors, tu la tires cette prune, de bleu!
Bidagneul, nifflet, torniole…
Le parler local s’effiloche aussi chez nos jeunes, friands du langage branchouille des banlieues tricolores. «Mon père enfile encore un falzoute, une camisole et une paire de grolles, mais les ados ne parlent plus comme lui», confie Léo (15 ans), qui se garde bien d’employer ces régionalismes en présence de ses copains. Même si sa langue fourche parfois. «L’autre jour, j’ai demandé à un pote de prendre son costume de bain, au lieu de dire maillot, à la française. La honte. Il m’a pris pour un bouffon…»
Attablé à ses côtés, Christian (18 ans) se creuse les méninges pour nous donner quelques romandismes. «Vous me posez une question de ouf. Je dirais natel, lolette et mollachu mais il en existe d’autres, que j’emploie sans le savoir.»
Notre petit jeu déconcerte aussi Kevin (17 ans), qui ne connaît pas le verbe gatter. Un comble pour un collégien genevois! «Nous, on sèche les cours, comme les Parisiens. Par contre, on mascogne toujours, une expression bien de chez nous celle-là.» Comme les noms meurons (les mûres), biscôme (pain d’épices), nifflet (nez) ou glinglin (petit doigt) dont il ignorait le sens.
«C’est impardonnable, tu mériterais une bonne torniole!», s’exclame Lucien (21 ans), qui a découvert ce mot typique à la patinoire, où s’égosillent les derniers titis genevois. «Au hockey, je me cultive. La dernière fois, j’ai appris les noms d’oiseaux du coin. Grâce à trois papys qui n’arrêtaient pas d’astiquer les arbitres. Tout y est passé: bidagneul, boffiau, taborniau, badadia et même, super classe, grand panais!» Belle langue.
En bref
Des fénoles aux meufs
Au bout du lac, on désignait les femmes sous le nom de fénole, jusqu’à la fin des années cinquante. Un terme inspiré par la Mère Fénolan, figure de la Madeleine, qui portait des chapeaux excentriques et des robes à falbalas, qu’elle enfilait les unes sur les autres. «Ce soir, on va manger une longeole avec nos fénoles. Invite ta meuf, il y aura d’autres nanas…»